Maëlle Labussière à l’Espace Lucien Prigent

La semaine dernière, j’ai reçu du service culturel de la ville de Landivisiau une invitation réservée aux professionnels de la culture, pour venir visiter l’exposition Maëlle Labussière à l’Espace Lucien Prigent, en petit comité, Covid oblige.
J’avais déjà pu apprécier son travail lors de mes visites à la Galerie Réjane Louin à Locquirec, mais je n’avais pas encore rencontré l’artiste ; Maëlle est une des artistes représentées par la galerie locquirécoise, un lieu par ailleurs tout à fait incontournable pour qui apprécie l’art contemporain.
Cette invitation à Landivisiau, c’était l’occasion d’échanger avec elle sur son travail, de se retrouver dans une ambiance presque normale, d’oublier le temps d’un après-midi ces restrictions culturelles difficiles, de saluer le travail exceptionnel du service culturel de la ville de Landivisiau.

J’ai eu envie de partager ce moment avec vous.

La ligne et la couleur

Au premier regard, de la couleur, vive, profonde, traitée en aplats, en opacité ou en transparence, matérialisée par une ligne, une forme, tout se mêle. La composition est structurée, géométrique ; on y distingue une sorte de régularité constante, une répétition de formes qui peuvent faire penser au motif. Puis, on se perd dans les détails de textures, dans les superpositions de couleurs ; on scrute la toile pour s’en imprégner, on constate alors à quel point ce travail est subtil et délicat, précis et sensible à la fois. On est bien au-delà de la première impression.

L’espace et le temps

Les lignes se superposent, se croisent, jouent de leur opacité ou de leur transparence, laissent apparaître la trace d’une ligne ébauchée précédemment, apportant ainsi à la composition un effet tridimensionnel, une sensation d’espace qui fait parfois songer à une architecture qui se construit pierre après pierre.
Selon les techniques, selon les démarches, le facteur temps semble faire partie de l’œuvre : tantôt long et précis, tantôt rapide, laissant l’empreinte d’un trait plus spontané, légèrement irrégulier.

J’aime beaucoup jouer sur le temps, alterner un geste lent, d’une précision extrême à un mouvement plus rapide, plus spontané. Cela rythme ma vie d’artiste.

Maëlle Labussière

Le choix du support participe sans aucun doute à ces recherches temporelles : ici un carnet de médecin d’un autre temps que des taches rouges (du sang ?) viendront remplir, là des lignes tracées à la plume qui semblent pouvoir se lire au gré des pages d’un livre ancien.

Le spectateur en action : feuilleter, dérouler, déplier

En passant d’une œuvre à l’autre, le regard se prend au jeu d’un parcours, de haut en bas, de droite à gauche, en diagonale, dans une sorte de grille que l’on peut explorer à l’infini. Le regard se pose sur une couche d’acrylique fine et régulière, là, juste en dessous d’une autre ; on la suit pour en distinguer un début, un milieu, une fin. On se surprend à s’interroger sur la chronologie du geste.

On feuillette, découvrant page après page un carnet de formes, des toiles découpées puis assemblées entre elles dans un livre, on déroule un ruban, on déplie pour replier : on joue avec le support pour le lire d’une multitude de manières, pour en faire une œuvre différente à chaque fois.



Si vous souhaitez en apprendre d’avantage : un simple clic sur les liens suivants.

En savoir plus sur le parcours de Maëlle Labussière : la galerie Réjane Louin à Locquirec.

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Quand l’art et l’urbanisme se croisent

Quand les Créatifs de la Baie ont ouvert les portes de leurs ateliers fin mai 2019, je suis allée voir le travail de Charles Vergnolle, allias “La Raviverie”, au numéro 34 de la rue Basse à Morlaix. Peut-être aviez-vous, comme moi, découvert son travail sur les réseaux sociaux ? J’ai eu envie d’en savoir plus sur sa démarche de plasticien et son évidente réflexion autour des questions d’urbanisme et d’attractivité de la ville.
Rencontre avec Charles Vergnolle.

Morlaix, un choix pour une nouvelle vie

Charles Vergnolle est un citadin. Quand il a décidé de quitter la région parisienne, il ne savait pas encore où ses pas le mèneraient, certainement dans une cité à taille humaine, nécessairement dans une ville d’architecture et de patrimoine médiéval, peut-être proche du littoral aussi, définitivement desservie par le TGV. Alors, en cherchant sur le net avec tous ces critères, il est tombé sur Morlaix, il est venu voir, il a eu un coup de cœur.

Charles Vergnolle y a posé ses valises il y a un peu moins de deux ans. Il s’est installé dans une petite maison rue Basse dans laquelle il consacre le rez-de-chaussée à son activité de plasticien, un atelier qu’on aime forcément découvrir, peut-être encore plus quand on a gardé son âme d’enfant.

Les arts plastiques comme témoin de l’histoire

Charles est un plasticien romancier si l’on peut dire : il peint des morceaux d’histoire, en s’inspirant de photos qu’il a prises, parfois d’autres documents. Je repère une drôle de toile accrochée dans un coin de son atelier, elle représente un billet de banque, elle raconte le soulèvement des esclaves noirs en Jamaïque, les pièges tendus aux soldats anglais : « Les Anglais sont les premiers à avoir abandonné la colonisation, parce qu’ils n’arrivaient pas à faire face à tous ces actes de rébellions ».

Sur cette autre toile, une scène de motards. Que font-ils, quelle est cette ambiance explosive que l’on ressent dans ce tableau ? « On est en Martinique en 2009, lors des grandes grèves, le peuple est dans la rue, il cherche à se faire remarquer des autorités dans le but de faire diversion, pendant que d’autres pillent les supermarchés, la vie était devenue tellement chère, les habitants ne pouvaient plus vivre décemment. »

Et puis aussi, dans cet atelier de la rue Basse, il y a Morlaix. On se sent à mi-chemin entre les arts plastiques et l’architecture.

La ville vue par Charles Vergnolle

Son travail reflète certainement son goût pour l’architecture et les maisons de ville à colombage. On y perçoit toujours cette lumière – jusque-là très présente dans ses peintures de la période martiniquaise – qui apporte une dimension presque exotique à ses séries. C’est Morlaix vu par un voyageur. 

Et puis aussi, il traite la ville en volume, avec des enchevêtrements de maisons, créés à partir du cadastre, de Google Earth, de photographies. Nulle prétention de perfection dans ce travail, Charles n’aime pas la perfection, elle l’ennuie. Il se souvient d’ailleurs avec précision de cette remarque d’un de ses professeurs des Beaux-Arts : « Votre plus vilain défaut, c’est la négligence ; mais c’est aussi votre plus grande qualité ». Depuis, il la cultive, cette négligence, il l’intègre dans son travail, parce que c’est sa façon d’être et qu’elle apporte une dimension artistique intéressante. Ses partis pris plastiques : une découpe du carton irrégulière, des morceaux d’adhésif non dissimulés, un support imparfait.

En cours de réalisation, une ville utopique, bâtie sur une base circulaire, faite de souterrains et de tunnels.
La Tour de Babel de Peter Bruegel est certainement bien plus qu’une simple tour ! J’y vois des similitudes avec le travail de Charles Vergnolle, et encore plus depuis que j’ai discuté avec lui.
Exposé à la Manu, le quartier Saint-Mathieu vu par Charles Vergnolle : “J’avais hérité d’un carton de vieux rails et de trains électriques que mes parents avaient gardés de mon enfance. J’ai eu envie de partager cet univers avec mon fils, on a alors construit notre maison en carton, puis je me suis pris au jeu, j’ai fabriqué la maison voisine, puis les maisons de ma rue, puis des rues d’à côté, et ainsi de suite…” En arrière plan, une toile du peintre morlaisien Hervé Chateau.

Morlaix, demain : une réflexion sur l’avenir 

Son intérêt pour Morlaix l’amène aussi à porter une réflexion sur le devenir de la ville. Selon lui, il faut faire revivre la ville avec des lieux de rencontre et de partage. Pourquoi ne pas transformer la place Allende en lieu de vie, avec des terrasses de cafés, des paniers de baskets, des aires de jeux, des gradins pour des spectateurs ? « J’ai entendu des gens me dire qu’il n’y avait pas assez de parkings à Morlaix, je pense pour ma part qu’il y en a trop ! A Bordeaux, bien que la dimension ne soit pas comparable, la problématique a longtemps été similaire : on avait trop de parking. Dans les années 90, la municipalité en a pris conscience, et les a supprimés en hyper centre pour faire des lieux piétons, pour redonner aux places leur esprit d’autrefois. Et ça a marché ! Aujourd’hui, Bordeaux a des rues piétonnes, des places pleines de monde ! ».

Il faudrait aussi – selon lui – mettre en avant cette extraordinaire émulsion artistique, voire “se positionner comme une ville d’artistes, d’artisans d’art, en jouer, se présenter comme une ville bretonne d’art, comme à Pont-Aven ! Ca pourrait passer par des aides ou des subventions pour que les artistes puissent s’installer en galerie-atelier dans le centre-ville, et la Manu pourrait servir de lieu d’exposition pour tous ces gens-là, comme ça a été admirablement commencé avec les Créatifs de la Baie en décembre dernier”

Pour Charles, la transition de la mobilité n’a pas été faite à Morlaix. Il y vit sans voiture et se déplace à pied ou à vélo. « Il faut réenvisager sa manière de se déplacer mais c’est vrai qu’à Morlaix, il manque des pistes cyclables ou des aménagements de déplacements doux. Je trouve hyper intéressant le travail réalisé par l’association « Ici » sur les aménagements des berges de la rivière, et je pense non seulement que c’est réalisable mais que c’est porteur ! »