Chancerelle, entreprise du patrimoine vivant

La conserverie Chancerelle, deuxième employeur à Douarnenez (après le centre hospitalier), a fêté ses 165 ans en 2018, une année qui marque aussi le dépôt du dossier EPV (comprenez “Entreprise du Patrimoine Vivant”), obtenu en juillet 2019. À cette occasion, je me suis rendue à l’usine Chancerelle, pour une découverte passionnante de ce patrimoine industriel.

Pour expliquer cette labellisation EPV, il faut remonter assez loin dans le temps, au début de l’ère industrielle.

La conserverie de poisson, une activité ancienne

Au XIXe siècle, autour de Nantes et de Bordeaux, s’installe une puissante industrie alimentaire. La traite des noirs est désormais interdite (l’esclavage est aboli en 1848), Nantes, dont le commerce triangulaire a fait la prospérité, doit se reconvertir, la France est en pleine révolution industrielle, les paysages urbains se transforment.

Autour de Nantes, trois catégories d’industries alimentaires font leur apparition : les raffineries de sucre (la sucrerie de canne Say est fondée à Nantes en 1812, aujourd’hui connue sous le nom de Béghin Say), les biscuiteries (Biscuiterie Nantaise, LU) et les conserveries (Saupiquet, Chancerelle).
La conserverie de la sardine existe déjà avant le XIXe siècle. Sur le littoral breton, on prépare la sardine confite, cuite au beurre dans de grands pots de grès. Ce procédé ne permet alors qu’un mois de conservation, et encore, c’est un peu contesté. Autour de la Méditerranée, la sardine est cuite dans l’huile d’olive, italienne, car elle ne dénature pas le goût du poisson, à l’inverse de l’huile d’olive de Provence.
Petit à petit, les modes de conservation s’améliorent comme en témoignent les écrits d’Antoine Parmentier : l’extrait de viande peut se conserver plusieurs années s’il est contenu dans des boîtes en fer blanc*.

* Recherches sur les végétaux nourrissants qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires. Avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre , Paris, Imprimerie royale, 1781.

L’appertisation, une révolution pour la conservation des denrées alimentaires

En 1795, Appert invente le premier procédé de conservation longue durée. Il est relayé très rapidement par Colin, confiseur spécialisé dans la friture au beurre de la sardine. Le principe est simple : les aliments sont déposés dans un bocal en verre, fermé par un bouchon de liège, cuits au bain-marie.
En 1824, Colin (seconde génération) agrandit les ateliers, se développe, remplace le beurre par l’huile d’olive. Quatre ans plus tard (1828), Laurent et Robert Chancerelle créent leur première conserverie à Nantes.

L’autoclave est inventé en 1852 ; les aliments sont placés dans des boîtes en fer blanc, fermées hermétiquement, cuits à la vapeur (comme dans une cocotte-minute) ; il permet enfin une stérilisation véritablement efficace. C’est à ce moment-là que la production de sardine devient industrielle et non plus artisanale.

L’autoclave du XIXe s’est modernisé depuis mais sa forme et ses grands principes de fonctionnement ont peu changé.

Ce film muet datant de 1912 donne de précieuses informations sur la conserve, l’appertisation, le sertissage.

Est-ce cette géniale invention qui conduit Robert Chancerelle à fonder la maison Chancerelle à Douarnenez en 1853 ? C’est probable.
À Douarnenez, les sardines prennent le nom de “flèches d’argent”, les sardinières de “penn sardin” (têtes de sardines), parce qu’on les identifie facilement à leur coiffe. Elles font la renommée des conserves de Douarnenez.

Au début du XXe siècle, les Penn Sardin travaillent sur une chaîne statique. Aujourd’hui, elle est mécanisée. Le savoir-faire et le geste restent inchangés de nos jours, néanmoins la mécanisation des chaînes permet d’améliorer les conditions de travail et la rentabilité.

A la fin du XIXe siècle, Douarnenez compte 32 conserveries. Les hommes travaillent en mer, à la pêche, les femmes, à l’usine, préparent les produits et les mettent en boîte.
Le savoir-faire n’a guère changé depuis : on met en boîte de la même manière, on éviscère toujours à la main, une technique que la Maison Chancerelle est fière de présenter comme unique : le poisson n’est pas abimé, ce qui explique d’ailleurs une présentation parfaite des sardines dans les boîtes Connétable.

Les critères pour devenir Entreprise du Patrimoine Vivant

Nous avons rencontré Laurence Blanlœil, responsable des relations publiques et relations presse chez Chancerelle.
Les critères que nous avons mis en avant sont l’ancienneté ; l’héritage d’une entreprise de père en fils, les capitaux de l’entreprise appartiennent toujours à la famille Chancerelle ; le savoir-faire ancestral : le geste est toujours le même, un coup de main unique.”

 « Nous rejoignons ainsi les 1 400 entreprises qui partagent nos valeurs en conciliant la tradition et l’innovation, le travail et la passion, le patrimoine et l’avenir. A travers ce label, nous participons également à notre échelle au rayonnement économique de la région Bretagne. » 

Jean-François Hug, Président de la Maison Chancerelle

Voyez le reportage de France 3 Bretagne :

Obtenir le label EPV, comment ça se passe ?

L’organisme EPV a effectué deux visites sur le site de la Maison Chancerelle ; l’objectif de ces visites est d’observer le processus de fabrication, le savoir-faire. En retour, l’entreprise constitue un dossier de photos familiales, de coupures de presse, d’archives. Pour Chancerelle, c’est après six mois d’étude que l’entreprise a obtenu le label.
Les trois personnes qui sont venues en observation chez nous n’en revenaient pas que tout se fasse à la main encore aujourd’hui, que l’humain soit si présent dans une chaine de production moderne”.

Concrètement, l’EPV, qu’est-ce que ça peut apporter à une entreprise ?

En externe, c’est appuyer la notoriété de l’entreprise, de ses savoir-faire, des marques et produits qu’elle commercialise. L’EPV est un gage d’excellence, le consommateur ne peut qu’y être sensible. C’est donc aussi une manière de se démarquer de la concurrence.

En interne, c’est faire valoir aux salariés que leur savoir-faire est reconnu, que le succès de l’entreprise repose aussi sur leurs compétences.
Il y a chez Chancerelle une culture d’entreprise très marquée qui se transmet de génération en génération, un sentiment d’appartenance et une grande fierté chez les plus anciennes. Elles ont passé leur vie au sein de l’entreprise, elles transmettent leur savoir aux plus jeunes, comme autrefois. Pour preuve d’ailleurs, il y a un très faible taux de turnover.
Pour l’occasion, l’entreprise a offert a chacun de ses salariés une boîte de sardines qui porte les couleurs du label, une manière de saluer la qualité du travail réalisé” conclut Laurence Blanlœil.

Le chantier naval Jézéquel Entreprise du patrimoine vivant

Le Kein Vor II, le J25 du “Marquis”, construit au Chantier ©Violaine Pierret – Carantec – 2017


Les entreprises, leur histoire, leurs acteurs participent à l’attractivité du territoire au même titre que le tourisme, la qualité de vie, le tissu associatif, le patrimoine…
J’ai souvent évoqué, dans mes articles et dans la présentation de ce site, la nécessité d’aborder le territoire sous l’angle de la globalité.
Au Chantier Naval Jézéquel, la connexion entre économie et patrimoine est évidente.


J’ai une affection particulière pour la famille Jézéquel qui m’a confié à plusieurs reprises le travail de communication de cette entreprise familiale de renom. Le chantier naval Jézéquel a bâti sa réputation sur un savoir-faire transmis de père en fils depuis quatre générations. Il est aujourd’hui situé en bordure de rivière à Saint-François (Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix), mais il est reconnu comme un chantier carantécois, car c’est dans ce petit port du Nord Finistère que l’essentiel de son histoire s’est jouée.
Lorsque j’ai travaillé sur la réalisation du site web du chantier, j’ai épluché avec Françoise Jézéquel un carton rempli de trésors correspondant à un siècle d’histoire, une ancienneté qui a valut au chantier d’obtenir en 2017 le Label Entreprises du Patrimoine Vivant.

Qu’est-ce que l’EPV ?

Le label d’État Entreprise du Patrimoine Vivant est la seule distinction qui vient récompenser et encourager l’excellence française, reposant sur la maîtrise avancée de savoir-faire rares, renommés ou ancestraux.
Le label est né en 2005, les premières labellisations ont été attribuées en 2006. En France, 1 400 entreprises portent les couleurs de ce label.*

*à découvrir bientôt sur le blog, mon reportage sur la maison Chancerelle, sardinerie de Douarnenez, qui a obtenu le label EPV en juillet 2019

Un siècle de savoir-faire au Chantier Jézéquel

L’histoire de ce chantier commence pendant la guerre de 14-18, très loin des côtes finistériennes, au milieu de la mer Égée, sur l’île de Corfou (en Grèce). Alain Jézéquel s’est engagé dans l’armée, il est charpentier ; on l’affecte à la réparation des bateaux. Il y rencontre Eugène Moguérou, un Carantécois. A la fin de la guerre, ils sont amis, ils partagent la même passion de la mer et des bateaux, il décident de s’associer.

Du bateau à usage professionnel au bateau de loisir

La pêche et le transport légumier sont des préoccupations vitales en ce premier tiers du XXe siècle. Le savoir-faire du chantier s’oriente essentiellement vers la construction à usage professionnel. La voile de plaisance se développe en baie de Morlaix ; Eugène Moguérou décide d’orienter son chantier vers la construction de voiliers, un choix qui sera superbement développé par la famille Jézéquel.

Carantec – Le Port 1927 – Le hangar qui fait partie aujoud’hui du paysage n’existe pas encore mais on devine la silhouette d’une coque en construction.

D’Alain à Jean-Marie, quatre générations de constructeurs

Au chantier débute une ère de construction navale de loisirs. Brix, Dervin, Sergent, Cornu, ces architectes navals de renom verront leurs plans se concrétiser dans ce petit chantier carantécois. Alain (première génération) a depuis déjà longtemps transmis la fièvre à son fils Georges. En 1937, Georges (seconde génération) commence son apprentissage ; il reprend les rênes du chantier en 1952. Lui aussi transmet à son fils Alain (troisième génération) la passion de la construction navale. Après l’école, Alain s’initie – sous l’œil attentif de son père – à ses premiers apprentissages : calfatage sur des caisses de bois, pose des rondelles sur les pointes de rivets, puis participe de plus en plus activement aux chantiers. Il construit avec son père le cotre Bonne Espérance, dessiné par son frère Olivier, puis des unités de la série Prima, des Dauphin.
En 1985, il reprend le chantier et construit des canots de 4,10 m, des Cat Boat, des Cormoran, des Bernache etc

La famille Jézéquel est une famille de marins, une tribu de passionnés. Jean-Marie (quatrième génération), né en 1986, navigue très jeune avec son grand-père et son père. Naturellement, il s’oriente vers le métier, en passant d’abord un CAP filière bois et matériaux associés, et en faisant parallèlement son apprentissage au chantier familial.

2017 : le chantier obtient le label Entreprise du Patrimoine Vivant

Jean-Marie reprend l’entreprise en 2016 et monte un dossier de demande de labellisation EPV. Un an plus tard, l’exception du savoir-faire du chantier est reconnue.

C’est une vraie reconnaissance, une marque de qualité et un gage de pérennité dans ce métier qui devient rare. J’en suis très heureux, c’est une grande satisfaction sur un plan professionnel bien sûr, mais aussi familial.”

Sans nul doute, le Chantier Jézéquel produit des unités d’exception. La qualité est restée la même, le métier a su rester authentique, la passion et le savoir-faire ont traversé les décennies, avec le même soin, la même excellence.
Le chantier fait d’ailleurs l’objet de nombreux articles dans la revue spécialisée dans le patrimoine maritime Le Chasse Marée.

A quoi sert cette labellisation ?

Faire partie des EPV, c’est aussi évidemment participer à la conservation du Patrimoine, voire des Monuments Historiques. Le Chantier Naval Jézéquel s’est vu confier à plusieurs reprises la restauration de navires classés. Histoire singulière, Phébus, construit en 1932 au chantier, y revient en 2005 dans un état dramatique :

« Restaurer un bateau classé Monuments Historiques nécessite un savoir-faire ancestral, et une connaissance infaillible de la construction navale traditionnelle. Quand on restaure un voilier classé, on a une grosse responsabilité ! Et c’est sans aucun doute cette passation de savoir-faire qui permet tout cela !.”

1932, Phébus, dessiné par l’architecte Victor Brix, sort du Chantier. © Archives familiales
Retour au Chantier en 2005 : trois ans de travail seront nécessaires à sa remise en état. © Archives familiales
2005, les dégâts sont considérables.
© Archives familiales
Trois ans et quelques milliers d’heures de travail plus tard, Phébus retrouve son élément. Il est remis à l’eau en 2008.
© Archives familiales

Vers la continuité

C’est aussi ce savoir-faire d’exception qui permet aujourd’hui la mise en chantier d’un nouveau Cormoran, dessiné par Olivier Jézéquel qui devrait pouvoir naviguer au printemps 2020.
Cette construction originale et néanmoins approuvée par la jauge a d’ailleurs fait l’objet d’un article dans la revue Chasse-Marée.

Quand l’art et l’urbanisme se croisent

Quand les Créatifs de la Baie ont ouvert les portes de leurs ateliers fin mai 2019, je suis allée voir le travail de Charles Vergnolle, allias “La Raviverie”, au numéro 34 de la rue Basse à Morlaix. Peut-être aviez-vous, comme moi, découvert son travail sur les réseaux sociaux ? J’ai eu envie d’en savoir plus sur sa démarche de plasticien et son évidente réflexion autour des questions d’urbanisme et d’attractivité de la ville.
Rencontre avec Charles Vergnolle.

Morlaix, un choix pour une nouvelle vie

Charles Vergnolle est un citadin. Quand il a décidé de quitter la région parisienne, il ne savait pas encore où ses pas le mèneraient, certainement dans une cité à taille humaine, nécessairement dans une ville d’architecture et de patrimoine médiéval, peut-être proche du littoral aussi, définitivement desservie par le TGV. Alors, en cherchant sur le net avec tous ces critères, il est tombé sur Morlaix, il est venu voir, il a eu un coup de cœur.

Charles Vergnolle y a posé ses valises il y a un peu moins de deux ans. Il s’est installé dans une petite maison rue Basse dans laquelle il consacre le rez-de-chaussée à son activité de plasticien, un atelier qu’on aime forcément découvrir, peut-être encore plus quand on a gardé son âme d’enfant.

Les arts plastiques comme témoin de l’histoire

Charles est un plasticien romancier si l’on peut dire : il peint des morceaux d’histoire, en s’inspirant de photos qu’il a prises, parfois d’autres documents. Je repère une drôle de toile accrochée dans un coin de son atelier, elle représente un billet de banque, elle raconte le soulèvement des esclaves noirs en Jamaïque, les pièges tendus aux soldats anglais : « Les Anglais sont les premiers à avoir abandonné la colonisation, parce qu’ils n’arrivaient pas à faire face à tous ces actes de rébellions ».

Sur cette autre toile, une scène de motards. Que font-ils, quelle est cette ambiance explosive que l’on ressent dans ce tableau ? « On est en Martinique en 2009, lors des grandes grèves, le peuple est dans la rue, il cherche à se faire remarquer des autorités dans le but de faire diversion, pendant que d’autres pillent les supermarchés, la vie était devenue tellement chère, les habitants ne pouvaient plus vivre décemment. »

Et puis aussi, dans cet atelier de la rue Basse, il y a Morlaix. On se sent à mi-chemin entre les arts plastiques et l’architecture.

La ville vue par Charles Vergnolle

Son travail reflète certainement son goût pour l’architecture et les maisons de ville à colombage. On y perçoit toujours cette lumière – jusque-là très présente dans ses peintures de la période martiniquaise – qui apporte une dimension presque exotique à ses séries. C’est Morlaix vu par un voyageur. 

Et puis aussi, il traite la ville en volume, avec des enchevêtrements de maisons, créés à partir du cadastre, de Google Earth, de photographies. Nulle prétention de perfection dans ce travail, Charles n’aime pas la perfection, elle l’ennuie. Il se souvient d’ailleurs avec précision de cette remarque d’un de ses professeurs des Beaux-Arts : « Votre plus vilain défaut, c’est la négligence ; mais c’est aussi votre plus grande qualité ». Depuis, il la cultive, cette négligence, il l’intègre dans son travail, parce que c’est sa façon d’être et qu’elle apporte une dimension artistique intéressante. Ses partis pris plastiques : une découpe du carton irrégulière, des morceaux d’adhésif non dissimulés, un support imparfait.

En cours de réalisation, une ville utopique, bâtie sur une base circulaire, faite de souterrains et de tunnels.
La Tour de Babel de Peter Bruegel est certainement bien plus qu’une simple tour ! J’y vois des similitudes avec le travail de Charles Vergnolle, et encore plus depuis que j’ai discuté avec lui.
Exposé à la Manu, le quartier Saint-Mathieu vu par Charles Vergnolle : “J’avais hérité d’un carton de vieux rails et de trains électriques que mes parents avaient gardés de mon enfance. J’ai eu envie de partager cet univers avec mon fils, on a alors construit notre maison en carton, puis je me suis pris au jeu, j’ai fabriqué la maison voisine, puis les maisons de ma rue, puis des rues d’à côté, et ainsi de suite…” En arrière plan, une toile du peintre morlaisien Hervé Chateau.

Morlaix, demain : une réflexion sur l’avenir 

Son intérêt pour Morlaix l’amène aussi à porter une réflexion sur le devenir de la ville. Selon lui, il faut faire revivre la ville avec des lieux de rencontre et de partage. Pourquoi ne pas transformer la place Allende en lieu de vie, avec des terrasses de cafés, des paniers de baskets, des aires de jeux, des gradins pour des spectateurs ? « J’ai entendu des gens me dire qu’il n’y avait pas assez de parkings à Morlaix, je pense pour ma part qu’il y en a trop ! A Bordeaux, bien que la dimension ne soit pas comparable, la problématique a longtemps été similaire : on avait trop de parking. Dans les années 90, la municipalité en a pris conscience, et les a supprimés en hyper centre pour faire des lieux piétons, pour redonner aux places leur esprit d’autrefois. Et ça a marché ! Aujourd’hui, Bordeaux a des rues piétonnes, des places pleines de monde ! ».

Il faudrait aussi – selon lui – mettre en avant cette extraordinaire émulsion artistique, voire “se positionner comme une ville d’artistes, d’artisans d’art, en jouer, se présenter comme une ville bretonne d’art, comme à Pont-Aven ! Ca pourrait passer par des aides ou des subventions pour que les artistes puissent s’installer en galerie-atelier dans le centre-ville, et la Manu pourrait servir de lieu d’exposition pour tous ces gens-là, comme ça a été admirablement commencé avec les Créatifs de la Baie en décembre dernier”

Pour Charles, la transition de la mobilité n’a pas été faite à Morlaix. Il y vit sans voiture et se déplace à pied ou à vélo. « Il faut réenvisager sa manière de se déplacer mais c’est vrai qu’à Morlaix, il manque des pistes cyclables ou des aménagements de déplacements doux. Je trouve hyper intéressant le travail réalisé par l’association « Ici » sur les aménagements des berges de la rivière, et je pense non seulement que c’est réalisable mais que c’est porteur ! »

L’implantation de Citroën à Rennes

Ci-dessus, la Janais. Photographie prise le 26 janvier 1963 par Heurtier. L’Ami 6 est la première voiture fabriquée à Rennes. Source : portail documentaire du musée de Bretagne

On l’a vu récemment dans la presse, la Région Bretagne fait campagne pour inciter à “passer à l’ouest”, changer de vie, travailler autrement, dans un cadre différent. Elle met le paquet sur l’attractivité du territoire. Elle a des atouts culturels, elle offre une qualité de vie exceptionnelle, elle est riche en entreprises innovantes. Dans le domaine industriel en particulier, la Bretagne compte aujourd’hui parmi les régions les plus dynamiques de France.
Retour sur l’histoire récente de l’industrie en Bretagne.


Citroën en Bretagne, la genèse

Au début des années 50, presque tous les constructeurs automobiles français ont leurs usines en région parisienne. Citroën a déjà implanté à Rennes une usine de caoutchouc et de roulements à billes : la Barre-Thomas (1953).

A partir de 1955, l’Etat impose la construction des nouvelles usines en province, avec avantages financiers à la clé. La Bretagne fait partie d’un vaste programme de développement économique : le plan d’aménagement et de modernisation de la région s’élève à 200 milliards d’anciens francs. Seulement, on hésite, car la Bretagne est excentrée ; les infrastructures pour rallier la capitale sont insuffisantes, les trains sont particulièrement lents (pas plus de 100 km/h au début des années 60 entre Rennes et Paris !). Lorsque Citroën cherche un lieu d’implantation, Reims, Amiens, Châlons-sur-Marne et Rennes se portent candidates.
En fin de sélection, c’est Reims contre Rennes.

La région Bretagne a des atouts : elle a de la main d’œuvre à proposer. Le terrain sélectionné est idéalement situé en périphérie, sur une surface gigantesque et quasiment plate : un gros avantage qui évite des travaux de terrassement particulièrement coûteux. Et puis Pierre Bercot, le patron de Citroën a des attaches dans le Finistère. Sa préférence va naturellement à Rennes.

La proximité de la Barre-Thomas jouera également en faveur de la décision finale.

1960, installation de Citroën à La Janais

L’usine de la Janais en 1961, la première usine Citroën implantée en province.
Source Inventaire général, ADAGP

Une concentration de toutes les compétences

En 1960, l’usine de la Janais est inaugurée par le Général de Gaulle. L’année suivante débute la production de l’Ami 6, puis de l’Ami 8 et de l’Ami Super (une version plus puissante de l’Ami 8). C’est une usine de carrosserie et de montage hyper moderne. Le dessin, la conception et la fabrication se font à la Janais, une fierté pour les Bretons qui y travaillent. Dans le reportage suivant (INA), on met l’accent sur la qualité de la main d’œuvre bretonne et sur les opportunités d’emploi : “Mais savez-vous que ces voitures sont l’exemple type du produit breton ?” , “En 1969, 60% des employés sont bretons, et parmi les Parisiens embauchés à l’usine, 30 % sont d’origine bretonne.”
Citroën devient le premier employeur privé de l’agglomération rennaise

Une main d’œuvre d’ouvriers paysans

Beaucoup d’ouvriers sont aussi paysans. Les conditions de travail et la production à la ferme sont bien souvent difficiles, l’agriculture bretonne n’est pas au plus haut de sa forme. Avoir plusieurs emplois est une opportunité pour s’en sortir. Certains abandonnent la ferme pour trouver une stabilité à l’usine Citroën, d’autres combinent les deux emplois en mettant de côté, pour tenter de donner un second souffle à l’exploitation et investir dans du matériel.
Cette main d’œuvre est très appréciée des dirigeants de Citroën : les paysans sont fiables, ils ont des connaissances dans de nombreux domaines, ils sont courageux, ils s’adaptent très facilement.

Une vidéo très intéressante sur les ouvriers paysans de la Janais

L’usine de la Janais en quelques chiffres

  • 24 ha de site industriel
  • 20 km de routes et pistes intérieures
  • 18 voies ferrées pour acheminer les véhicules sur une grand ligne
  • 1 200 véhicules produits aux débuts de l’usine en 1961
  • 6 000 salariés en 1967
  • 14 000 salariés au début des années 80
  • 9 936 salariés en 2000
L’Ami 8, la GS et la Dyane sont produites sur le site de la Janais.

Sources

  • Inventaire du patrimoine culturel en Bretagne : en savoir +
  • Portail documentaire du musée de Bretagne et de l’écomusée du pays de Rennes : en savoir +
  • Archives de PSA Peugeot Citroën : en savoir +

Bleuenn Seveno, designer textile bretonne

J’ai longuement discuté un soir avec Bleuenn, au Tempo*. Elle avait lu l’un de mes articles de blog, je crois qu’elle s’est un peu reconnue aussi dans mon histoire personnelle. Elle m’a parlé de patrimoine, d’héritage culturel, de sa vie, de son histoire et de l’influence du patrimoine breton dans son travail. On a décidé de se revoir pour échanger plus longuement.

*Le Tempo est un restaurant-bar situé sur le port de Morlaix. On y mange bien, on y fait toujours de belles rencontres.

Bleuenn Seveno est designer textile, elle est une de ces créatrices en permanente ébullition intellectuelle ; son œil s’attarde toujours, partout, sur ce qui l’entoure. Et ce qui l’entoure, c’est la Bretagne, avec tout ce qu’elle comprend, pas que le vêtement breton, non, ce serait trop réducteur, le motif aussi, la voile de bateau traditionnel, le chapiteau d’un enclos, le bois sculpté d’une cuillère ancienne… elle entend s’en nourrir tout en apportant à son travail une dimension contemporaine, voire intemporelle, parce que Bleuenn a ça en commun avec moi, un goût pour la beauté des choses simples, pour l’élégance qui s’en dégage.

La Bretagne inspire la haute couture

Je connais mal le métier de designer textile. Quant à mes connaissances relatives au vêtement traditionnel breton, elles sont assez limitées.
Bleuenn va m’initier à cette culture, me présenter le travail des créateurs qui s’en inspirent.
Elle évoque Jean-Paul Gauthier, elle me montre des photos de cette fameuse collection dessinée par ce grand nom de la haute-couture ; la maille, la dentelle, le velours, la rayure, la broderie de fil d’or, rien n’est oublié dans ce travail d’orfèvre. Du vêtement traditionnel breton, il a su retranscrire le folklore, l’exubérance des éléments avec des exagérations de volumes ou des contrastes inattendus de matières. Il est comme ça, Jean-Paul Gauthier, il aime ce qui déménage !

“C’est extraordinaire que la Bretagne et le vêtement breton inspirent les plus grands noms , et je ne suis pas étonnée vu la richesse de notre patrimoine !”

Couverture de la revue Ar Men. Le dossier de ce numéro de mars-avril 2016 porte sur l’inspiration de la culture bretonne dans le design. Alors, oui, évidemment, Jean-Paul Gauthier est un sujet incontournable. Mais Bleuenn Seveno y est aussi mentionnée comme une référence de la mode en Bretagne.

Au gré de la conversation, Bleuenn Seveno me montre le travail de Mathias Ouvrard , Nolwenn Faligot, Pascal Jaouen… on regarde ensemble des photos de leurs créations, on s’attarde un peu sur le travail de Val Piriou.
Avec un nom pareil, elle est forcément un peu bretonne ! C’est la “Lady Bigoude” de la haute couture. Val Piriou est assez méconnue en France, alors qu’elle a acquis une notoriété étonnante au Japon, au Royaume-Uni et en Italie. Son travail allie la modernité des techniques (zip, matières élastiques, lycra, etc.) à des références plus traditionnelles qui viennent agrémenter le vêtement de couleurs et motifs bidoudens. Elle fait parfois usage de matières étonnantes comme la dentelle de corde, le raphia et même le plastique.
En savoir + sur Val Piriou

En 2010, Les Champs Libres consacrent une exposition à la créatrice bretonne Val Piriou.

Bleuenn Seveno, reconnue au Musée Départemental Breton

Le développement récent de la collection textile du Musée a désormais pris en compte la création de stylistes inspirés par les modes traditionnelles (Val Piriou, Pascal Jaouen, Bleuenn Seveno, Mathias Ouvrard, etc.)

Source : site web du musée départemental breton
Les planches d’études de Bleuenn Seveno sont exposées au Musée Départemental Breton à Quimper. Ici, photographie de son travail de recherches de fin d’études datant de la fin des années 90.

Dans les coulisses du Musée Départemental Breton à Quimper, il y a de précieuses archives. En voici deux exemples, ils illustrent avec pertinence l’esprit Bleuenn Seveno : une inspiration puisée dans le vêtement traditionnel, avec des recherches de matières, de textures et de formes empruntées au passé qui trouvent un équilibre harmonieux dans la réalité du présent : un vêtement facile à porter, toujours élégant, qui tient compte des exigences d’une vie moderne.

Tunique bustier avec un top en cache-coeur.
© Bleuenn Seveno – Collections du Musée Départemental Breton
Bustier et jupe modulable. La matière et la couleur de la jupe rappellent les voiles des bateaux traditionnels bretons.
© Bleuenn Seveno – Collections du Musée Départemental Breton

Techniques de fabrication

Le patrimoine passe aussi par des choix de techniques de fabrication traditionnelle. En Bretagne, on est bien attaché au made in France, voire carrément au made in BZH. Alors, il existe des manufactures plus ou moins importantes qui travaillent la maille, Bleuenn les connaît toutes : Le Minor à Guidel, Roc’han Maille à Rohan (Morbihan), Real Stamm à la Regrippière (du côté de Nantes). Un marché sur une voie ascendante qui revendique un maintien de l’emploi en local, qui garantit un savoir-faire traditionnel de qualité, qui développe son activité en accord avec ses valeurs de développement durable.
C’est même tellement porteur que E. Leclerc a créé sa propre marque dans l’Ouest, Breizh Mod, pour laquelle Bleuenn travaille depuis sa création, elle a même toute une page sur le site de Breizh Mod qui lui est dédiée !

Ce pull en laine Mérinos est confectionné selon la technique du point de Rome. Il est fabriqué par Real Stamm, tout près de Nantes à La Regrippière. Selon Bleuenn Seveno, la rayure, c’est l’ADN du pull breton. Elle adore la travailler, la réinventer, la détourner. ©Création Bleuenn Seveno pour Breizh Mod, Photographie de Maïwenn Nicolas.

Dans la bibliothèque de Bleuenn Seveno

Voici quelques ouvrages de référence que Bleuenn Seveno a décortiqués de long en large !

Le Costume Breton- R-Y Creston, Editions Tchou
Le Minor-Armel Morgant, Editions Coop Breizh.
Seiz Breur – Editions Locus Solus.
Costumes Bretons – François Hippolyte Lalaisse. Editions Bibliothèque de l’Image

Sur le net