Breizh Pastaaaaa !

Il y a dix jours, je suis allée à la rencontre de Clémentine Pelletier à Plouvorn où elle a choisi d’implanter son entreprise, un vrai moment de partage comme je les aime. Elle est de ces personnes qui font bouger les choses, qui entreprennent de manière intelligente et durable.
La nourriture a toujours été d’un grand intérêt pour Clémentine. Quand elle en parle, elle a les yeux qui pétillent. Avec Clémentine, on s’est trouvé des points communs.

Je demande souvent à ceux dont je dresse le portrait de me choisir une photo d’eux enfant. C’est une manière de se dévoiler (un peu)…

Après un début de carrière dans la Marine, elle a eu envie d’autre chose, plus orienté vers les produits alimentaires, elle a aussi eu envie de travailler pour des causes qui lui ressemblent.

Café et cacao

Après une formation spécialisée dans les achats internationaux, Clémentine est recrutée, en 2015, par La Torréfaction de la Baie. Ce nom vous dit quelque chose ? Aujourd’hui, l’entreprise s’appelle Grain de Sail et là, tout de suite, ça vous parle davantage, surtout si vous êtes morlaisien.
Grain de Sail s’appuie sur un modèle économique durable et respectueux de l’environnement, tout en garantissant la fabrication de produits de qualité (cafés et chocolats). Très prochainement, Grain de Sail devrait transporter sa matière première par voilier cargo. L’objectif est écologique, ambitieux, un peu fou, mais bien réel et vraiment novateur.

Clémentine y occupe plusieurs postes, participe au business plan, cherche des investisseurs pour la construction du premier bateau… Une expérience très enrichissante qui la mène vers l’indépendance.

Une âme de créatrice

Petit à petit, Clémentine réfléchit à créer sa propre entreprise. En 2019, elle quitte Grain de Sail avec une solide expérience. Pas vraiment par hasard : son projet est déjà mûr depuis une bonne année. Début 2020, elle crée Sympatic, une fabrique de pâtes bio en local, avec son associé Jérôme Courcoux.
Mais au juste, pourquoi des pâtes ?
“Les pâtes font vraiment partie de notre quotidien. Et puis, j’avais envie de prouver qu’on est capable aujourd’hui de créer une petite industrie en local et vendre un produit bio, bon et pas trop cher.”

Le concept de Sympatic

Le nom qu’elle choisit est porteur de ses valeurs : des pâtes sympas et éthiques. Tout est dit ! Son modèle économique s’appuie sur une production et une distribution locales pour éviter les excès de transport. Seul le blé dur vient d’Italie, parce qu’il est bon et qu’en Bretagne, on n’en produit pas.
“Notre objectif, ça va être de passer à de la semoule de blé dur française, à condition de ne pas altérer les qualités gustatives de nos pâtes”.
Comme pour Grain de Sail, l’engagement durable de Sympatic passe aussi par l’emploi d’une main d’œuvre issue d’un des établissements des Genêts d’Or (ESAT) de la région. Trois personnes et un encadrant viennent de compléter l’équipe.

Le packaging se veut moderne et clair à la fois et 100% recyclable, c’est une une question de bon sens !


“Je vois cette intégration comme un engagement solidaire, l’idée c’est de permettre à des personnes qui présentent un handicap de pouvoir accéder à un apprentissage professionnel. On travaille très bien avec l’ESAT de Landivisiau, Yann Moyou, le directeur, a accueilli l’idée avec enthousiasme et nous accompagne vraiment dans notre démarche.

Ça m’agace quand j’entends des gens me dire que j’emploie des personnes handicapées pour faire plus de profit, franchement, si ça avait été le cas, j’aurais tout automatisé”.

Les produits

La production n’a débuté qu’en août (Covid oblige !) ce qui n’a pas empêché la marque de décoller très rapidement : elle est déjà bien implantée dans le Finistère Nord. Elle propose sept produits différents. Pour le moment, la cible, c’est la grande distribution en hyper local mais Clémentine vise aussi les Biocoop et les magasins spécialisés, avec de la vente en vrac.
L’objectif, c’est de pouvoir proposer un paquet de pâtes à moins de 2,00 €. Le paquet de coquillettes Sympatic est à 1,75 € (Le Barilla en produit conventionnel est à 1,40 €), et pour du bio fabriqué en local, c’est vraiment pas mal. Et en plus, elle sont vraiment bonnes !

Les projets à venir

Bon, vous l’avez compris, Clémentine est une fonceuse. Elle envisage de se lancer dans la fabrication de toute une gamme de sauces réalisées avec des légumes d’ici et de saison. “C’est un vrai challenge ! Pour parvenir à avoir toujours en rayon six recettes, il va nous falloir en créer une bonne quinzaine”.


Dans la bibliothèque de Clémentine

Le terrifiant Shining de Stephen King, porté à l’écran par Kubrik, un classique néanmoins incontournable !

La série des aventures de Benjamin Malaussène par Daniel Pennac : une bible que je partage avec Clémentine. En plus, les couvertures dessinées par Jacques Tardi sont somptueuses !

David Vann, une série de romans noirs dont les récits s’articulent autour des rapports “père-fils”, “mère-fille”…

Visite dans un jardin d’Eden

Mercredi, je suis allée à la rencontre d’Édith Vigné. Elle m’a invitée dans ce qu’elle appelle son “jardin de poche”. Ce lieu singulier est aussi le siège de son entreprise {éden paysages}.

J’aime donner la parole à ces acteurs du territoire, vous savez, ceux qui sont un peu atypiques, qui ont des parcours de vie étonnants, qui s’investissent dans leur entreprise tout en conservant leurs valeurs. Édith en fait partie. Elle aime la nature, elle entend la respecter dans sa vie personnelle comme dans son activité professionnelle. Elle aime les gens aussi. Et puis, ses valeurs, ce sont aussi les miennes. Avec Édith, on se comprend.

Un parcours atypique

La nature dans ses racines

Édith est originaire de la région parisienne. Pourtant, elle a un attachement très fort pour la nature. Quand elle était petite, elle passait toutes ses vacances chez ses grands-parents en Corrèze, à courir la campagne, à se baigner dans les rivières en culotte, à rouler jusqu’en bas des collines en saluant les vaches en passant.

Édith en 1983 fait sa cueillette quelque-part dans le Massif des Monédières en Corrèze.

Avec son grand-père, à Noël, elle allait couper le sapin : “On faisait attention à en choisir un qui était en doublon et suffisamment grand pour laisser les plus jeunes pousser”.
Édith ramassait toutes sortes de végétaux rigolos, doux ou simplement jolis pour en faire des petites compositions, des sortes de maquettes de jardins miniatures avec des boites à godasses. “C’était la liberté absolue en plus de correspondre à mes premières émotions de nature !”.
Les bonnes choses ont une fin comme dit l’adage ! Il fallait toujours rentrer à la maison pour l’école…

Une vie entre Paris et l’Occitanie

Édith pense d’abord s’orienter vers le métier d’urbaniste. À la fac, elle choisit Sciences Éco avec une spécialité Développement Durable, puis finalement prend le virage de l’enseignement en poursuivant son cursus universitaire par une licence de Science de l’Éducation. Elle rentre à l’IUFM. Une fois le concours d’instit’ en poche, elle choisit de quitter Paris. Pour son premier poste, elle demande Montpellier, Grenoble et Nîmes : les trois villes présentent des avantages certains, montagne, mer, campagne à proximité, c’est pas mal ! Et puis Édith a vraiment envie de quitter Paris, parce qu’avec un salaire de prof, c’est pas simple et qu’en plus, les grandes étendues de verdure lui manquent vraiment.

Finalement, elle est nommée à Nîmes : “Au début, j’étais un peu déçue. J’ai même eu un peu de mal à m’y faire : les paysages changent peu au fil des saisons.” Elle y reste quand même 15 ans, elle y pratique son métier d’enseignante avec passion. Parallèlement, elle travaille les techniques plastiques à l’atelier de peinture de Pascal Thouvenin pendant 7 ans et ressent un besoin grandissant de créer, de laisser une trace.
En 2010, elle rencontre Pascal (il vit en Bretagne !), elle quitte tout : le boulot, les amis, l’Occitanie. C’est le grand virage !

L’arrivée en Bretagne : une nouvelle orientation professionnelle

Édith prend une année de disponibilité qu’elle consacre à la réflexion. Elle fait le point sur ses aptitudes, sur son besoin d’apprendre de nouvelles choses, sur le panel de formations qui s’offre à elle : “Je m’intéressais beaucoup à l’architecture, l’urbanisme, ça m’attirait beaucoup, mais j’avais fait des études universitaires, il me manquait le côté manuel”.
Édith choisit finalement les espaces verts et s’oriente vers un Bac pro Aménagement paysager, une formation qu’elle suit à la Maison Familiale Rurale de Plabennec. Son Bac pro en poche, elle est embauchée dans l’une des trois entreprises qui l’avaient accueillie pour ses stages d’étude : “Là, j’ai appris à faire une terrasse, à construire un mur, à manier les matériaux. Mais la dimension paysagère et créative était quasi absente. J’ai fait six mois et j’ai décidé de ne pas continuer”.

Le jardin de poche d’Édith Vigné est beau en toutes saisons.

“Si je dois créer quelque chose, c’est maintenant !”

L’aventure Eden Paysage

Fin 2015, sa décision est prise. Son absence de références lui semble être problématique. Elle projette de partir faire un tour de France des copains, en leur proposant la création de leurs jardins pour constituer son book. Finalement, elle n’a même pas l’occasion d’entreprendre ce voyage ; les commandes sont immédiates : “Ça été très vite : j’ai fait les démarches de création d’Eden Paysage et j’ai eu une première cliente, quasiment tout de suite ! Et puis le bouche à oreille a fait le reste.”.
Les professionnels de l’entretien paysager de Carantec jouent le jeu et lui envoient des clients pour des demandes de conception et création paysagère. Elle présente les projets “à l’ancienne” qu’elle dessine au crayon de papier et colore à l’aquarelle. C’est authentique, naturel et cette approche – aux antipodes de la 3D assez froide – plaît aux nombreux passionnés de Carantec.

Un positionnement responsable

Est-ce son positionnement responsable qui la mène à la réussite ? Ce qui est certain, c’est que son approche écologique et humaine est à l’origine de son succès. Édith se fournit chez des pépinières locales : Vert’Tige pour les plantes d’ombre (Louargat), Le Jardin de Gwen (Lanmeur) pour les vivaces, Les Pépinières Roué pour la terre de bruyère (Plouigneau), Rouxel et Lepage (Côtes d’Armor) pour les gros sujets et Kerisnel (Saint-Pol-de-Léon). Elle recommande volontiers les boutiques de design du coin, comme Arte Diem pour le mobilier d’extérieur (Lire l’article d’Édith sur le site d’Arte Diem), L’Île aux Dames ou La Passerelle (à Carantec) pour la décoration.
L’écologie est une évidence, elle travaille sans aucun produit chimique. Elle constate que ses clients sont réceptifs à ses méthodes : “Mes clients ont compris que le jardin n’a pas besoin d’être aussi rangé et propre que le salon !”.
Elle a adhéré au Syndicat Professionnel du Paysage et à La Société Française des Jardins Japonais, elle se rend sur des salons, se forme à la taille en transparence et constate que les choses sont en train de changer, que des solutions plus écologiques se mettent en place.
Cette année, Édith renforce les rangs : elle accueillera très bientôt un jeune stagiaire en alternance : il est tout aussi passionné qu’elle !

Édith utilise des paillages de cosses de sarrasin pour maintenir la fraîcheur et l’humidité du sol. Édith aime leur côté esthétique et leurs qualités végétales.


Dans la bibliothèque d’Édith

Les mains dans la terre – Camille Muller. Ed. Ulmer
Relire Hopper
Ed. Réunion des Musées Nationaux
Tout est jardin – Ossart + Maurières. Ed. Ulmer
Portrait d’un homme heureux. André le Nôtre 1613 – 1700
Ed. Poche Folio
Zao Wou-Ki, Carnets de voyages – 1948 – 1952.
Ed. Albin Michel
La jeune fille à la perle – Tracy Chevalier.
Ed. Poche Folio


Quand l’art et l’urbanisme se croisent

Quand les Créatifs de la Baie ont ouvert les portes de leurs ateliers fin mai 2019, je suis allée voir le travail de Charles Vergnolle, allias “La Raviverie”, au numéro 34 de la rue Basse à Morlaix. Peut-être aviez-vous, comme moi, découvert son travail sur les réseaux sociaux ? J’ai eu envie d’en savoir plus sur sa démarche de plasticien et son évidente réflexion autour des questions d’urbanisme et d’attractivité de la ville.
Rencontre avec Charles Vergnolle.

Morlaix, un choix pour une nouvelle vie

Charles Vergnolle est un citadin. Quand il a décidé de quitter la région parisienne, il ne savait pas encore où ses pas le mèneraient, certainement dans une cité à taille humaine, nécessairement dans une ville d’architecture et de patrimoine médiéval, peut-être proche du littoral aussi, définitivement desservie par le TGV. Alors, en cherchant sur le net avec tous ces critères, il est tombé sur Morlaix, il est venu voir, il a eu un coup de cœur.

Charles Vergnolle y a posé ses valises il y a un peu moins de deux ans. Il s’est installé dans une petite maison rue Basse dans laquelle il consacre le rez-de-chaussée à son activité de plasticien, un atelier qu’on aime forcément découvrir, peut-être encore plus quand on a gardé son âme d’enfant.

Les arts plastiques comme témoin de l’histoire

Charles est un plasticien romancier si l’on peut dire : il peint des morceaux d’histoire, en s’inspirant de photos qu’il a prises, parfois d’autres documents. Je repère une drôle de toile accrochée dans un coin de son atelier, elle représente un billet de banque, elle raconte le soulèvement des esclaves noirs en Jamaïque, les pièges tendus aux soldats anglais : « Les Anglais sont les premiers à avoir abandonné la colonisation, parce qu’ils n’arrivaient pas à faire face à tous ces actes de rébellions ».

Sur cette autre toile, une scène de motards. Que font-ils, quelle est cette ambiance explosive que l’on ressent dans ce tableau ? « On est en Martinique en 2009, lors des grandes grèves, le peuple est dans la rue, il cherche à se faire remarquer des autorités dans le but de faire diversion, pendant que d’autres pillent les supermarchés, la vie était devenue tellement chère, les habitants ne pouvaient plus vivre décemment. »

Et puis aussi, dans cet atelier de la rue Basse, il y a Morlaix. On se sent à mi-chemin entre les arts plastiques et l’architecture.

La ville vue par Charles Vergnolle

Son travail reflète certainement son goût pour l’architecture et les maisons de ville à colombage. On y perçoit toujours cette lumière – jusque-là très présente dans ses peintures de la période martiniquaise – qui apporte une dimension presque exotique à ses séries. C’est Morlaix vu par un voyageur. 

Et puis aussi, il traite la ville en volume, avec des enchevêtrements de maisons, créés à partir du cadastre, de Google Earth, de photographies. Nulle prétention de perfection dans ce travail, Charles n’aime pas la perfection, elle l’ennuie. Il se souvient d’ailleurs avec précision de cette remarque d’un de ses professeurs des Beaux-Arts : « Votre plus vilain défaut, c’est la négligence ; mais c’est aussi votre plus grande qualité ». Depuis, il la cultive, cette négligence, il l’intègre dans son travail, parce que c’est sa façon d’être et qu’elle apporte une dimension artistique intéressante. Ses partis pris plastiques : une découpe du carton irrégulière, des morceaux d’adhésif non dissimulés, un support imparfait.

En cours de réalisation, une ville utopique, bâtie sur une base circulaire, faite de souterrains et de tunnels.
La Tour de Babel de Peter Bruegel est certainement bien plus qu’une simple tour ! J’y vois des similitudes avec le travail de Charles Vergnolle, et encore plus depuis que j’ai discuté avec lui.
Exposé à la Manu, le quartier Saint-Mathieu vu par Charles Vergnolle : “J’avais hérité d’un carton de vieux rails et de trains électriques que mes parents avaient gardés de mon enfance. J’ai eu envie de partager cet univers avec mon fils, on a alors construit notre maison en carton, puis je me suis pris au jeu, j’ai fabriqué la maison voisine, puis les maisons de ma rue, puis des rues d’à côté, et ainsi de suite…” En arrière plan, une toile du peintre morlaisien Hervé Chateau.

Morlaix, demain : une réflexion sur l’avenir 

Son intérêt pour Morlaix l’amène aussi à porter une réflexion sur le devenir de la ville. Selon lui, il faut faire revivre la ville avec des lieux de rencontre et de partage. Pourquoi ne pas transformer la place Allende en lieu de vie, avec des terrasses de cafés, des paniers de baskets, des aires de jeux, des gradins pour des spectateurs ? « J’ai entendu des gens me dire qu’il n’y avait pas assez de parkings à Morlaix, je pense pour ma part qu’il y en a trop ! A Bordeaux, bien que la dimension ne soit pas comparable, la problématique a longtemps été similaire : on avait trop de parking. Dans les années 90, la municipalité en a pris conscience, et les a supprimés en hyper centre pour faire des lieux piétons, pour redonner aux places leur esprit d’autrefois. Et ça a marché ! Aujourd’hui, Bordeaux a des rues piétonnes, des places pleines de monde ! ».

Il faudrait aussi – selon lui – mettre en avant cette extraordinaire émulsion artistique, voire “se positionner comme une ville d’artistes, d’artisans d’art, en jouer, se présenter comme une ville bretonne d’art, comme à Pont-Aven ! Ca pourrait passer par des aides ou des subventions pour que les artistes puissent s’installer en galerie-atelier dans le centre-ville, et la Manu pourrait servir de lieu d’exposition pour tous ces gens-là, comme ça a été admirablement commencé avec les Créatifs de la Baie en décembre dernier”

Pour Charles, la transition de la mobilité n’a pas été faite à Morlaix. Il y vit sans voiture et se déplace à pied ou à vélo. « Il faut réenvisager sa manière de se déplacer mais c’est vrai qu’à Morlaix, il manque des pistes cyclables ou des aménagements de déplacements doux. Je trouve hyper intéressant le travail réalisé par l’association « Ici » sur les aménagements des berges de la rivière, et je pense non seulement que c’est réalisable mais que c’est porteur ! »